« La plupart des problèmes ont des solutions très simples. L’ennui, c’est que ces solutions ne résolvent pas le problème, mais l’aggravent éventuellement. » On attribue cette boutade à Einstein, elle décrit à merveille un des problèmes de la politique. En effet, il est parfois plus aisé de se faire élire sur la base d’un discours simpliste et musclé, mais qui ne fait en fin de compte qu’empirer les choses. Mais qu’en est-il des électeurs et électrices ? Intelligentes, ces personnes ne devraient-elles pas être capables de déjouer le subterfuge ? Deuxième inconvénient: les effets des solutions simplistes ne se manifestent souvent qu’à long terme lorsqu’aura joué le principe « more of the same » (plus de la même chose) un certain nombre de fois. Ça coule de source : si cette solution si simple et si convaincante n’a pas déployé ses effets résolutifs du problème, c’est qu’on ne l’a pas appliquée suffisamment bien, suffisamment fort ; il faut en remettre une couche. Et ainsi, à force de vaines gesticulations, de cataplasmes sur des jambes de bois, le problème, éventuellement bénin, finira par devenir un problème grave. Mais cet inconvénient n’est pas un mal pour tout le monde : le ou la politicien-ne en question pourra toujours revendiquer une application encore plus rigoureuse de sa solution simpliste. Le problème est que les effets des solutions simplistes ne deviennent manifestes que sur le long terme ; or la mémoire courte est l’amie de la politique simpliste. Si on veut vraiment résoudre les problèmes, il ne faut pas avoir peur ni de la complexité, ni d’un discours un peu plus exigeant au niveau intellectuel pour les électeurs et électrices. Les « Y a qu’à » finissent toujours par coûter très cher. Ne doutons pas de l’intelligence des électeurs et électrices pour le comprendre. Un exemple : le problème des drogues qui nous occupe depuis les années qui ont suivi 1968. Au début, il y avait le cannabis; pas forcément bon pour la santé, il est néanmoins moins nocif que l’alcool et le tabac, mais porteur d’une culture de contestation qui remet en cause les valeurs de notre société. La solution simpliste : réprimons le cannabis et ses producteurs/usagers. Cette « solution » a fait les choux gras du crime organisé qui prend toujours le relais d’une distribution légale mise hors-jeu, c’est une constante historique. Les criminels ont ensuite graduellement misé sur des drogues de plus en plus dures et nocives, qui créent une dépendance toujours plus rapide… chaque spécialiste en marketing vous dira qu’il faut bien entretenir son marché. Cinquante ans plus tard, la dépénalisation ou la légalisation seraient également des solutions simplistes. Ce qu’une simple solution répressive a surtout empêché, c’est le dialogue social sur les valeurs. Elle a marginalisé une partie de la population intelligente mais critique. Ce sont ces effets à long terme que nous payons encore aujourd’hui. Les résultats de ce désastre se comptent en milliards de coûts sociaux, en dommages directs et dans des effets néfastes au bon fonctionnement de la société. Et seule la plus petite partie est chiffrable, le reste étant de l’ordre des nuisances qualitatives et stratégiques qui nous donneront encore du fil à retordre pendant plusieurs décennies. Il est difficile d’éradiquer les mafias qui chercheront d’autres domaines d’activité une fois un problème véritablement résolu. Elles ne manqueront pas de se jeter sur d’autres opportunités que les politicien-ne-s vont sans doute créer. Et le manque d’un indispensable dialogue social et politique sur les valeurs ne cesse d’empoisonner le débat politique. Le besoin est là d’expression, d’écoute, de dialogue, de rencontres, un espace peuplé d’idées en perpétuel devenir pour créer un futur ensemble. Si ce besoin est évident d’agora où le dialogue social peut évoluer, le manque n’est toutefois pas perdu pour tout le monde, bien au contraire. Toute une génération de politicien-ne-s vit encore aujourd’hui sur le « capital-problèmes » en essayant de récidiver avec des dynamiques semblables sur d’autres problèmes… encore petits pour le moment. Citons ici le débat nourri du Grand Conseil du Canton de Vaud pour « cadrer » l’alcoolisation massive des jeunes. La protection par l’interdiction est une tentation récurrente. Le débat a principalement porté sur la pertinence de l’interdiction et les types d’alcools concernés. Pour éviter la biture express des jeunes, la vente à l’emporter d’alcool fort et de bière est désormais interdite dans tout le canton de 21h à 6h du matin. Dans la capitale du Canton, prioritairement touchée par le problème de « biture express des jeunes », l’interdiction s’accompagne de l’entrée en fonction de six correspondants de nuit dont le rôle est de désamorcer par le dialogue les conflits durant les nuits lausannoises. Il n’empêche que la répression couvre tout le canton et que l’opportunité de dialogue reste bien ténue. En revenant à la question initiale, nous constatons donc un paradoxe : ce qui apparaît au fil des lignes comme un cercle vicieux est en réalité un cercle vertueux pour beaucoup de politicien-ne-s. Ce sera le cas de celles et ceux qui vivent de ces problèmes qu’ils confronteront à l’exclusion et à la répression sans vouloir les résoudre… Car une vraie solution serait pour eux la perte d’une vache à lait. Avant de glisser son précieux bulletin de vote dans l’urne en faveur d’un-e candidat-e ou d’un-e autre, il vaut la peine de se demander s’il ou elle apporte des solutions ou s’il ou elle fait partie du problème. Pour répondre à cette question trois réflexions peuvent aider : Cette personne est-elle capable et désireuse d’analyser et de comprendre des problèmes complexes ? A-t-elle les capacités et la détermination de promouvoir...